Nous avons fait la connaissance de Morné Visagie, artiste vivant et travaillant au Cap, lors de son passage durant l’hiver 2017 à Artistes en Résidence, Clermont-Ferrand. Eloignée de tous les clichés associés à l’art de son continent, sa pratique nous a donné envie d’en savoir plus sur la scène artistique de cette ville sud-africaine que nous connaissons finalement très peu. De plus, cette année a été celle de « l’Art africain » en France : après l’art de l’Europe de l’est, l’art contemporain chinois ou celui d’Amérique latine, tour à tour ces quinze dernières années, c’est au tour de la création africaine – et en particulier l’art contemporain d’Afrique du Sud − d’intéresser le monde de l’art occidental et de connaitre les honneurs des grandes institutions1. Or, dans un tel contexte, nous sommes tentés de suivre les conseils du théoricien Achille Mbembe déclarant récemment que « puisque l’art africain est à la mode, échappons-y et sachons en faire un projet qui ouvre sur un futur systématique »2, dans lequel l’art dit « africain » aurait toute sa place. En cours depuis la fin des années 80, cette légitimation toute occidentale nous laisse en effet songeur quant à ce que l’on considère comme « art africain » et nous nous sommes à notre tour demandés ce que pouvait être un tel art. Car le passage d’un art traditionnel, religieux et mystique, immuable au cours des siècles et ne comprenant pas la notion d’ « art » dans son acception occidentale, à un art muséal, intégrant l’économie de marché globalisée, fusionnant avec les formes occidentales bien que conservant ses caractéristiques culturelles, pose effectivement question. Sans oublier l’impact qu’a pu avoir la colonisation, puis le post-colonialisme et maintenant le néo-colonialisme sur cet art, de même que les tabous, la honte et les rancunes engendrés par ces périodes successives et encore très sensibles comme en attestent, à certains égards, les propos recueillis dans ce dossier.
Cet engouement n’est en soi pas une nouveauté. On lit depuis quelque temps maintenant, dans la presse artistique internationale, différents articles sur les artistes et scènes artistiques africaines, comme ceux de Sean O’Toole qui dresse ici le portrait historique de celle du Cap. Mais l’enchaînement de ces manifestations et la présence exponentielle de ces artistes dans les musées, les galeries et les foires, comme le souligne le galeriste Jonathan Garnham, laissent transparaitre un nouvel élan dans les pratiques artistiques sud-africaines. Et l’artiste Thulile Gamedze rappelle dans son entretien que le web y joue un rôle sans précédent. L’ouverture en 2017 du Zeitz MOCAA au Cap, le premier musée d’art contemporain africain, n’est sans doute pas étranger à cet enthousiasme et montre que, quels qu’en soient les réels tenants et aboutissants (politiques, économiques, financiers ?), quelque chose est en train de se passer en Afrique du Sud qui ne saurait se réduire à une reconnaissance institutionnelle.
Notes
- L’Iris de Lucy au Musée départemental d’art contemporain de Rochechouart en 2016 ; le projet « Art/ Afrique, le nouvel atelier » en 2017 rassemblant deux expositions, Les Initiés, un choix d’œuvres (1989-2009) de la collection d’art contemporain africain de Jean Pigozzi et Être là, Afrique du Sud, une scène contemporaine à La Fondation Louis Vuitton, Paris ; Le Jour qui vient à la Galerie des Galeries, Fondation d’Entreprise Galerie Lafayette, Paris ; Afrique Capitales, à la Villette, Paris et plus internationale, le succès commercial depuis cinq ans de la Foire d’art contemporain africain 1-54 Contemporary African Art Fair à Londres, New York et Marrakech.
- Voir l’intervention d’Achille Mbembe au colloque organisé lors de l’exposition Être là, Afrique du Sud, une scène contemporaine à La Fondation Louis Vuitton, le jeudi 27 avril 2017 : http://www.fondationlouisvuitton.fr/evenements/afrique_evenements/rencontre-27avril2017.html