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Cédric Esturillo – « Délice sur Encelade »

par Thomas Conchou

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Au premier abord, les installations de Cédric Esturillo frappent par une générosité visuelle volontairement séduisante : environnements luxuriants aux couleurs bigarrées, elles soutiennent et aguichent, même, le regard. Des jeux de ressemblance s’y font jour : ne croit-on pas déceler certains motifs à travers l’opulence des formes, le foisonnement des matières et la superposition des techniques ? Par une pratique du prélèvement et de la captation, il vient inscrire dans ses sculptures des citations qui interpellent et mobilisent spontanément des imaginaires variés. Qu’il s’agisse d’indices d’architecture molle californienne (architecture Googie) ou de thèmes de science-fiction, il va puiser tout autant dans l’histoire de l’art, de l’architecture et de l’artisanat que dans des objets culturels marginaux et localisés. Pourtant, il ne s’agit pas ici de singer par itération formelle ou par simple fascination esthétique : le questionnement de l’original par sa copie vient travailler les cultures visuelles et leurs conditions de formation historiques. Par recoupements transtemporels et transculturels, Cédric Esturillo souligne les intersections des trajectoires de ces systèmes de production et de circulation des images. Leur apparition dans son travail relève d’une pratique de drag1: travestissement qui revendique sa facticité, il informe sur la façon dont notre regard se forme par et pour leur réception.

Pour sa première exposition personnelle, il prend pour point de départ l’ornement en tant que technique de superposition de motifs. Plus précisément, c’est le baroque sicilien qui vient infuser ses productions récentes et prend corps dans des vasques en bois sculpté, rehaussées de drapés et de plantes chatoyantes. La précision et la maîtrise des techniques de gravure et de sculpture dont il fait preuve n’effacent pas la superposition pop et le mix narquois des matériaux : tantôt bois brut, tantôt simple medium aggloméré. Pied-de-nez à la noblesse supposée de la matière et la grandiloquence historique du baroque, il s’empare d’une technique numérique contemporaine, le glitch, pour tenir en échec la lourdeur de la reproduction. Dans ses immenses tableaux mêlant faux-marbre, coulures roses fluo et imitations de céramique, il vient faire s’effondrer les textures et les motifs pour créer des effets de persistance rétinienne et d’aplatissement de la perspective. Cette mise en défaut des technologies optiques fait entrer en tension l’ornement et le bruit visuel et cherche leurs lieux de collision, de superposition, de glissement de l’un vers l’autre. Le regard, désorienté par la multiplication des couches d’appréciation et de lecture de ces objets, fonctionne alors par choix et révèle ses réflexes : que voit-on lorsqu’il y a trop à voir ? C’est ce dévoilement que l’artiste recherche, citant volontiers le bubble porn, pratique internet qui vient positionner sur des images de corps des cercles colorés censés recouvrir une nudité obscène ou la nature sexuelle des interactions entre les sujets photographiés. Les photographies utilisées n’ayant en fait pas de caractéristique érotique, la superposition d’une abstraction révèle la perversité de l’esprit du·de la regardant·e. Ce va-et-vient entre systèmes d’abstractions, effets optiques et fabrication du regard est également présent dans les sculptures Danmaku que l’artiste a réalisées. Inspirées par une tradition de jeux d’arcade japonais 80’s simulant des pluies d’obus numériques sur le·la joueur·euse, elles renouent avec le motif du bruit visuel. Ici, ce sont des plaques de bois laqué qui sont « douchées » de véritables balles.

 Avec « Délice sur Encelade », titre évocateur à la fois de la gigantomachie et des récentes découvertes spatiales, Cédric Esturillo propose un voyage temporel suivant le principe de rétrocipation d’Arnauld Pierre, qui décrit dans  Futur Antérieur2 la façon dont les processus d’anticipation de la science-fiction renseignent aussi sur l’époque qui les a vu naître et tiennent le présent en question.

Né en 1988 à Saint-Chamond, Cédric Esturillo vit et travaille à Lyon. Après avoir été l’assistant de l’artiste Michael McMillen à Los Angeles en 2015, il obtient son DNSEP à l’ENSBA Lyon en 2016. Il est ensuite invité pour différentes expositions collectives, notamment la Biennale de la Jeune Création à Mulhouse en 2017 et le Salon de Montrouge en 2018. Il participe actuellement à l’exposition collective Sedona, présentée à la Villa du Parc, Annemasse. Son travail sera également présenté au Musée des Beaux-Arts de Mulhouse de juin à septembre 2019. Cédric Esturillo est actuellement résident aux Ateliers du Grand Large (Décines-Charpieu), résidence d’artistes dirigée par l’Adéra. Il est sélectionné pour participer en 2019 à la 15e Biennale d'art contemporain de Lyon, dans la section Jeune création internationale.




Cédric Esturillo, Délice sur Encelade

17 novembre 2018 – 2 février 2019

Galerie de l’antichambre, Chambéry

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