Depuis de nombreuses années installé dans les faubourgs de Limoges au site des coopérateurs, le FRAC Limousin, maintenant FRAC-Artothèque du Limousin, sera bientôt relocalisé dans un nouveau bâtiment situé en hypercentre, dans un lieu patrimonial du XIXe siècle, aux belles lignes architecturales repensées par Jakob & McFarlane. Cette nouvelle étape dans l’histoire de l’art contemporain en Limousin paraît une belle surprise à l’heure des coupes budgétaires et des fermetures de centres d’art, mais aussi du sort des FRAC pas vraiment réglé quelques années après la fusion des régions. Nous avons demandé à Yannick Miloux, co-directeur de cette nouvelle structure de s’entretenir avec La belle revue à ce sujet.
Benoît Lamy de La Chapelle : Quelle est la genèse de ce projet et comment l’équipe du FRAC a-t-elle réussi à l’imposer après toutes ces années ?
Yannick Miloux : Le développement de ce projet tient au fait que deux structures préexistantes, le FRAC et l’Artothèque du Limousin, seule artothèque à échelle régionale en France, ont fusionné en 2014. Ce territoire géographique de diffusion était auparavant partagé par les deux structures, et nous avons imaginé, ma collègue Catherine Texier et moi-même, que nous devions travailler de façon complémentaire, pour mieux faire partager ces collections publiques au plus grand nombre. Cette fusion a été accompagnée par la Région Limousin qui a acquis un immeuble dans le centre-ville de Limoges à la fin de l’année 2014 pour reloger et donner plus de visibilité au FRAC-Artothèque.
BLdLC : Après les FRAC 1re génération (nomades), 2e génération (installés dans des espaces d’exposition) et 3e génération (avec des bâtiments construits sur mesure), n’assistons-nous pas à l’apparition d’une nouvelle génération de FRAC, donnant une large part à l’exposition de leur collection quasiment permanente (comme la galerie qui lui est dédiée dans votre projet) au détriment d’une place plus large pour les artistes, l’expérimentation et la recherche de la création contemporaine en cours ?
YM : Dans notre projet rue Charles Michels à Limoges, nous aurons beaucoup plus de place pour montrer des œuvres. Et nos collections en comptent un grand nombre, environ 1600 pour le FRAC et 4400 pour l’Artothèque. Il ne s’agit pas pour nous de montrer nos collections de façon permanente, mais de renouveler leur présentation à un rythme lent et d’y adosser un programme d’expositions temporaires et d’événements de durée plus courte
(un mois, une semaine, une soirée). Ces présentations permettront aux visiteur·euse·s de trouver des repères temporels, voire historiques et d’être confronté·e·s à des mises en perspective, en tout cas à des surprises.
Par ailleurs, nous avons déjà sollicité, depuis quelques années, des artistes à porter leur regard sur nos collections tel·le·s qu’Anita Molinero, Richard Fauguet, Jane Harris ou Sarah Tritz. Nous comptons bien continuer à leur offrir cette possibilité pour qu’il·elle·s enrichissent notre regard sur ce patrimoine en cours de constitution.
BLdLC : Il me semble cependant que confronter ses œuvres à une collection et travailler sur une exposition strictement personnelle n’engage pas l’artiste de la même manière. L’aspect recherche et expérimentation me semble plus contraint quand l’artiste doit se mesurer à des artistes majeur·e·s de la collection du FRAC. De même il existe une différence entre un·e artiste/commissaire, et l’artiste qui place des œuvres de la collection dans son exposition. Qu’en sera-t-il de « l’espace » propre à l’artiste ?
YM : Il ne s’agit absolument pas d’une obligation, mais de possibilités, la confrontation aux œuvres d’autres artistes ne va pas que dans un sens. Elle peut aussi permettre de révéler des artistes considéré·e·s comme « mineur·e·s ». Ce qui me semble intéressant dans ce projet, c’est l’idée même de dialogue, de conversation, pour tenter de rompre l’isolement de l’artiste et, par effet ricochet, d’impliquer les regardeur·euse·s, quel que soit leur bagage culturel.
BLdLC : Ce nouveau bâtiment situé à la frontière des quartiers commerçants et touristiques va changer les rapports du FRAC-Artothèque du Limousin avec ses (nouveaux ?) publics. Votre programmation aura donc beaucoup plus de visibilité, ce qui est judicieux compte tenu de votre fusion récente avec l’Artothèque, grâce à cela les visiteur·euse·s pourront, en plus de voir des expositions, emprunter des œuvres. Ce type de fusion inédite permet au FRAC-Artothèque du Limousin d’occuper une position unique dans le champ du fonctionnement des lieux d’art contemporain en France, voire au-delà. Dans cette perspective de rendre la création contemporaine toujours plus accessible, peut-on parler d’un modèle en cours d’expérimentation ?
YM : Avant de fusionner les deux structures, nous avions déjà commencé à travailler sur leurs collections respectives. Nous nous sommes rendus compte, par exemple, que soixante-quinze artistes étaient communs aux deux collections. Et nous avons décidé que, le cas échéant, nous pourrions faire des achats complémentaires : une peinture ou une sculpture pour le FRAC, des œuvres sur papier du·de la même artiste pour l’Artothèque. Ce qui fait que, même si les inventaires sont différenciés et que les conditions de prêt des œuvres ne sont pas les mêmes, lorsque l’occasion se présente, nous pouvons exposer des ensembles monographiques qui sont souvent très appréciés par le public.
BLdLC : Votre proximité avec des lieux patrimoniaux, plutôt muséaux, aura-t-elle des conséquences sur la direction artistique ? Sera-t-il davantage question de contexte ?
YM : Ce nouveau contexte urbain va nous apporter beaucoup plus de visibilité, c’est certain. Et ce très beau bâtiment où les volumes et la luminosité sont très différents de nos précédentes salles d’expositions va nous amener à revoir nos collections sous un nouveau jour. On pourra ainsi enfin montrer des peintures dans de bonnes conditions de lumière et des sculptures de plus grandes dimensions. Et on peut aussi imaginer que le rapport humain aura encore plus d’importance, nos objectifs étant que les personnes viennent et reviennent souvent dans ce lieu pour apprécier certaines œuvres montrées dans la durée et découvrir de nouvelles propositions plus éphémères, voire participer à des événements.
BLdLC : Cette concentration sur ce nouveau bâtiment et sa foisonnante programmation permettront-ils aux équipes de poursuivre le développement de la politique de diffusion, mission fondamentale des FRAC ?
YM : Nous voulons maintenir les activités de diffusion hors les murs et même les développer davantage, sur la base renouvelée de la réciprocité. Des projets qui se mettent en place à l’extérieur pourront trouver leur place dans le programme in situ, et à l’inverse, d’autres propositions élaborées dans le lieu pourront être amenées à circuler sur le très vaste territoire néo-aquitain et peut-être même au-delà.