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Traduction Lou Ferrand

Periphery of the Night –
Apichatpong Weerasethakul

par Lillian Davies

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« C’est un peu similaire à l’intérieur de mon cerveau1 », explique l’artiste et cinéaste Apichatpong Weerasethakul en décrivant sa dernière exposition à l’IAC, où la directrice et curatrice Nathalie Ergino fondait il y a dix ans, aux côtés de l’artiste Ann Veronica Janssens, le Laboratoire Espace Cerveau. C’est le mouvement, le son et la lumière dans le travail vidéo de Weerasethakul qui font écho à la vitalité et au mystère du cerveau, un espace de déplacement et de rencontre – intérieur, mais vivant. Cette sélection rétrospective de vidéos et de deux photographies de l’artiste réalisées au cours des vingt dernières années façonne un territoire de mouvement et de pensée. Au dehors, l’œuvre Power Boy (Villeurbanne) (2021) est installée sur la façade culminante de l’ancien bâtiment scolaire. La photographie capture la silhouette d’un torse de jeune homme, ses épaules et sa poitrine enveloppées dans de féériques lumières multicolores. Les détails de son visage disparaissent dans l’ombre, en contre-jour. L’image semble tout droit sortie d’un rêve.

C’est bel et bien une question, en forme de poème, que Haiku (2019) soulève ici, s’immergeant dans la géographie, l’histoire et le traumatisme de Nabua, un village rural au nord de la Thaïlande, victime lors de la dernière génération d’une violente répression due à un soulèvement politique. Un récit est évoqué, mais jamais tout à fait pleinement formulé, par un cercle constitué d’adolescents, de descendants de cette tragédie, que sonde Weeraskethakul. Qu’a-t-on retenu, qu’a-t-on oublié, qu’a-t-on raconté de cet évènement avant la naissance de ces jeunes hommes ? Davantage que de répondre, il s’agit de chercher – à l’image des éclairs et faisceaux de lampes de poche captés par l’artiste au cours des nuits consécutives où il a prêté l’oreille, pointant sa caméra sur ce qui est était autrefois là, mais est désormais seulement connu par les mots et la transmission de l’émotion et de la perte.

La lumière, les flammes, ou encore les explosions extatiques de feux d’artifice lancés à la main sont au cœur de l’œuvre de Weerasethakul ; nommée d’après la partie la plus chaude d’une flamme, Blue (2018) représente une femme endormie au pied d’un bûcher. En une simple superposition de vidéos, sa couverture en feutre bleu et sa chemise de nuit semblent s’embraser. Mais elle ne voit pas le feu, ne panique pas. Ses yeux demeurent ouverts, clignent à peine. C’est un cas d’insomnie, aussi banal et universel que les aboiements sans objet des chiens que l’on entend dans l’arrière-plan. Les flammes s’élèvent plus haut encore dans Ashes (2012), où l’artiste représente des jets d’eau – arches liquides faibles et inconséquentes qui ne servent qu’à saisir la lumière du feu qui s’élève.

Pourtant, dans ces situations où l’on frôle le danger, ou lorsque l’artiste présente une photographie démesurée comme Ghost Teen (From the Primitive Project) (2009) – un adolescent en masque gore et lunettes de soleil –, il ne s’agit pas de peur, mais de visibilité. À quel point l’acte de voir et d’être vu·e est-il fragile, vulnérable ? Sa vidéo Phantoms of Nabua (2009), par exemple, montre un groupe de jeunes hommes dehors la nuit. Ils se réunissent autour de la projection en plein air d’un feu d’artifice sur un écran d’extérieur. L’un d’entre eux est habillé en tenue camouflage, et alors qu’ils commencent à taper dans un ballon de football qui a pris flamme dans leur feu de camp, leurs visages, jadis plongés dans l’obscurité, s’illuminent chaque fois que le ballon s’approche d’eux et qu’ils parviennent à le frapper d’un courageux et retentissant coup de pied. Le jeu a triomphé sur l’obscurité, sur la peur. C’est le jeu qui nous réveille, nous engage – nous fait voir. Une sorte de jeu qui pourrait bien être nécessaire à l’amour, ainsi que le sous-entend la projection du triptyque Teem (2007) de Weerasethakul. L’œuvre représente un beau garçon se réveillant sur un oreiller adjacent, la tête couverte de cheveux noirs et hirsutes, les traits illuminés, enfin visibles. C’est la dernière œuvre de l’exposition, une sorte de résurgence, le sortir d’un rêve, les doigts entrelacés.




Apichatpong Weerasethakul
« Periphery of the Night »

Institut d’Art Contemporain, Villeurbanne
02 juillet - 28 novembre 2021




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Jean-Charles de Quillacq