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Ma
Jean-Charles de Quillacq

par Simon Feydieu

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Dames

L’attrait pour un miroir est variable ; il nous renvoie à notre degré de narcissisme, de voyeurisme ou simplement à la fascination que tout effet d’optique, telle que la réflexion, mais aussi la transparence et la diffraction peuvent produire.

Dans l’exposition de Jean-Charles de Quillacq à art3, les miroirs sont plaqués au mur le long des plinthes, trop bas pour qu’un visage de visiteur·euse s’y reflète. Un damier de carrelage blanc au joint noir s’y prolonge et structure l’agencement des pièces.

 

Un Bassin

Le premier regard est en plongée. L’espace, trois marches en contrebas, évoque un bassin asséché. Les différents moulages de la partie inférieure d’un corps, objets et assemblages, disposés à même le sol, en arrière-plan d’un aquarium sale, ou accolés, s’y réfléchissent. Il y a une étrange correspondance de hauteur et de volumétrie.

Les surfaces sont vernies, laquées ou vitrées, dénuées de pore, et sur celles-ci se fixent ou se lovent des résines, du textile, du silicone, des crèmes, des sucs, des fluides et des spores. Des conduits sont tranchés, obstrués, enrobés, pincés, des orifices sont élargis, des fluides (jus, urine, sueur de synthèse, crème hydratante…) sont entre deux états, s’asséchant, produisant des émanations ou des substrats sur des surfaces inertes.

 

Ouranus

Descendre dans ce bassin. Découvrir contre une marche un tube recouvert d’une calotte de silicone à la couleur fécale. Des brioches faites maison, monstrueuses de levure, fourrées dans la niche préexistante du plafond. Déchiffrer les sous-titres lubriques d’une projection vidéo minuscule. Des poignées esseulées, froides, rigides et blanches, épousant la forme d’une paume.

 

Le Parfum1

Un deuxième aquarium contient un liquide vert artificiel, bien que l’on me précise qu’il s’agit de jus de concombre. Je pense dimensions. Phallus végétal. L’exposition touche à sa fin, l’odeur a disparu.

 

Géant Vert

Certaines marques opèrent sur notre mémoire collective d’étranges associations, des sensations fantômes, comme l’on pourrait parler d’un membre fantôme, lorsque les démangeaisons persistent par-delà l’amputation.

Le caramel d’un Mars sur son palais, la fraîcheur d’une pâte tricolore Aquafresh que l’on mélange et que l’on crache, le relent du YOP sur la lèvre supérieure léchée, le chatouillement d’un désodorisant Axe… Des interactions avec de la chair, les odeurs mélangées à de la chair, à ses fluides, la caresse de la chair, le goût de la chair.

 

The Ice Truck Killer2

On découvre çà et là, une chaussure Nike sur une chaussette de sport, un collant blanc, une bouteille de Liptonic, des marques populaires aux usagers indénombrables et anonymes, et pourtant ici, malgré les visages cachés, hors champs ou absents, les figures rigides et exsangues, un portrait semble à l’œuvre.

Un corps démembré n’a pas de volonté propre ; il devient objet, plus que sujet, comme le fils dévoré par Saturne dans la fresque de Goya. Les bidons industriels évoquent des troncs à orifice, desquels ont jailli les substances qui contaminent, absorbent, remplacent les objets qu’elles (re)produisent tels des Body snatchers3.

Les morceaux de corps semblent masculins, mais jouent de leur ambiguïté. Le moulage des trois membres, deux jambes serrées, dissimulant leur phallus, a pour titre « Alexa » : le diminutif ampute un nom de ses dernières syllabes, qui déterminent souvent le genre. Le bassin d’un mannequin asexué tronçonné s’accouple avec un bidon. Dans l’extrait vidéo, capturé par l’artiste, sur le site Boyself.com, le travailleur sexuel, androgyne et prostré, expose son dos imberbe, ses cheveux longs, ses hanches fines, ses fesses, un Dildo dépassant de son anus. Mais il dissimule son visage, n’exhibe pas son sexe. 

 

L.H.O.O.Q.Q.

Le titre de l’exposition « Ma Sis T’aime reproductive4 » m’évoque les calembours duchampiens « L.H.O.O.Q. » (1919) de la Joconde moustachue ou « Rrose Sélavy » (1920), où l’artiste se travestit.

Un portrait composite non genré, en pied et sans tête, émerge en creux des préoccupations récurrentes, dans les œuvres comme dans leurs titres, d’ordre physique et social, de genre et de sexe. Amputer, agencer, aligner des morceaux, sur une surface striée de lignes.

Possessifs.

 

Ma sis t’aime reproductive

http://www.Boy Self.com

 

Ma Self







Jean-Charles de Quillacq
« Ma sis t’aime reproductive »

art3, Valence
20 mai – 24 juillet 2021





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