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Garland

par Benoît Lamy de La Chapelle

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Depuis maintenant près d’une dizaine d’années, Treignac Projet poursuit sans relâche le développement de sa programmation entre expositions pointues, programmes de résidences estivales et invitations à des commissaires, artistes, critiques d’art, philosophes et autres théoriciens d’envergure internationale. Après quelques invitations à des commissaires étrangers afin de concevoir ce que nous comptons parmi les meilleures expositions présentées actuellement en France, il n’est pas étonnant que Sam Basu et Liz Murray, fondateurs en charge des lieux, aient proposé à la curatrice Suédo-canadienne Sabrina Tarasoff (déjà bien familière des lieux1) de penser la suite du « programme de commissaires ». C’est donc avec l’exposition Garland que cette dernière a choisi de débuter ce cycle.

Bien que thématique, Garland n’est pas une exposition à thèse, et les travaux présentés ne cherchent pas nécessairement à soutenir un propos curatorial. Il s’agit plutôt d’une exposition « environnementale » dont l’association et la mise en dialogue des œuvres auront d’abord pour but de reproduire un esprit, une atmosphère. Aussi, cette manière d’exposer (en vogue ces derniers temps), se veut holistique, dans le sens où ce que les œuvres produisent ensemble prime sur leur singularité. Par conséquent, Garland se découvre tel un paysage que l’on contemple dans son ensemble avant de regarder plus en détail ce qui le constitue.

Garland, comme le présente la note d’intention, se veut polysémique : c’est évidemment le principe de la guirlande qui est dans un premier temps convoqué, ou plus précisément le fait d’assembler différents objets ou idées – une mise en abyme de l’exercice de l’exposition collective –, mais aussi différentes réalités, dans le but de les confronter. Le modèle du conte de fées devient donc un outil d’analyse adéquate, et qui dit [Judy] Garland, dit Le magicien d’Oz (1939), film-paysage par excellence. Produit uniquement en studio avec des décors de paysages peints, dont la planéité fait encore parfaitement illusion, ce film semble effectivement le modèle parfait de la structuration à la fois formelle et conceptuelle de Garland. La couleur jaune du sol d’origine de la salle d’exposition encore parcimonieusement présente, fait écho au chemin de brique jaune du film, et les quatre papiers peints d’Alex Da Corte reprennent très fidèlement le code couleur des paysages parcourus par les acteurs. L’ambiance très glitter du film scintille dans les œuvres de Karen Klimnik, Guendalina Cerruti, Signe Rose ou encore Scott Benzel, alors que princesses et fées apparaissent au court de la visite comme dans le Cinderella (1985) d’Ericka Beckmann dont on regrettera encore qu'il ne soit pas projeté à échelle humaine comme le recommande l'artiste2. Choix d’autant plus étonnant que toute l’exposition invite à une immersion corporelle totale dans un univers spécifique… L’illusion cinématographique se rappelle au visiteur avec une autre artiste de la Picture Generation, Sherrie Levine, dont la présence rappelle le principe du simulacre à l’œuvre dans la culture de la société de consommation, plus que jamais active à ce jour, et justement confirmée par la plupart des artefacts utilisés dans les œuvres exposées. Mais c’est aussi l’origine angelenos de la plupart des artistes listés qui vient boucler cette importance accordée ici à l’illusion cinématographique désormais à l’œuvre dans le réel : car si la sublimation ou la mystification du banal semble aujourd’hui aller de soi, il n’existe plus de différence entre réel et fiction, un état de fait que la culture pop a largement contribué à provoquer.

Si Garland est une exposition raffinée dont les multiples champs sémantiques offrent autant de « chemin de briques jaunes » à parcourir, son propos laisse malgré tout planer un certain malaise. Selon le texte de salle, la présence de Judy Garland erre dans l’exposition telle un spectre, et sa figure est soi-disant « absente »3Garland serait alors « un hommage à Judy, une tentative pour saluer le fantasme, le fandom et le mirage des histoires, en gardant à distance le memento mori de la culture »… Pourtant, le personnage qu’elle incarne passe les ¾ du film à chercher à rentrer chez elle, en répétant finalement à qui veut l’entendre « there is no place like home », morale incitant chacun à retourner chez soi et à rester gentiment à la place qui lui est attribuée, en évitant surtout toute dérive susceptible de distordre le système d’une société américaine alors en passe de devenir société-monde, notamment grâce à l’industrie cinématographique. Les messages subliminaux hollywoodiens dont Le magicien d’Oz est reconnu comme un des principaux porteurs, ne sauraient alors soutenir tout énoncé donnant libre cours aux fantasmes et aux rêves. Sans oublier Judy Garland elle-même, pur produit des studios d’Hollywood, adolescente ayant tendance à l’embonpoint, dopée pour rester mince jusqu’à sombrer dans la toxicomanie, dont le destin tragique est lui aussi devenu iconique. Si la culture pop produit consciemment ou inconsciemment des merveilles dont l’art actuel se repaît, il convient de rester vigilent quant à l’origine des paillettes recouvrant le réel.

 




Garland

Treignac Projet

Du 13 juillet au 15 septembre 2019

www.treignacprojet.org




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