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Come on all you dogs!

par Julie Portier

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Trop rares se sont faites les expériences radicales dans le domaine de l’exposition, du moins dans les institutions françaises, trop rares sont aussi les espaces où le sens et la direction ne sont à l’avance prescrits. Ainsi la proposition de Jason Dodge à l’IAC de Villeurbanne est-elle parmi les expositions qui ont le plus compté en 2016. Ici, pas de texte explicatif, et personne pour vous emmener par la main dans un scénario bien réglé qui, au prétendu vide – cet espace laissé enfin libre au travail du sens et au mouvement des corps – substitue un autre spectacle1. Ici l’énigme n’est pas posée de vive voix et qui ne souhaite prêter son attention à cette scène ramenée au ras du sol – un paysage aride qui se poursuit d’une salle à l’autre, semant emballages, journaux, pièces de monnaie, bouteilles vides et autres détritus d’une poubelle publique qui pourraient avoir été déversés là – peut sortir. Pourtant le titre, Behind this machine, anyone with a mind who cares can enter2, comme souvent chez Dodge, se présente comme un indice, si ce n’est une promesse que la situation, à un endroit ou un moment, s’élève à des sphères poétiques. Aussi, l’hypothèse selon laquelle tout ce qui gît ici serait le résultat d’un geste aléatoire est exclue pour qui est un peu familier du travail de Dodge. On se souvient, par exemple, de ce tas de bobines en tout genre, Above the Weather (2005), dont les fils déroulés et mis bout à bout mesuraient l’exacte épaisseur de la troposphère (la couche la plus basse de l’atmosphère) à la latitude précise de l’espace d’exposition. Il est aussi troublant de considérer que les signes, dans ce travail qui se manifeste presque toujours sur le mode indiciel, renvoient souvent à un temps lointain ou un ailleurs reculé voire inatteignable (comme les pôles), et de s’en faire la réflexion en piétinant les résidus d’existences qui ressemblent fort à la nôtre.

L’ailleurs dont il est fait référence ici pourrait se situer juste derrière la porte. Et soudain l’air qui pénètre à l’intérieur du centre d’art par la fenêtre laissée ouverte dans la verrière, se ressent comme un phénomène étrange. A-t-il la même origine que la tornade qui s’est engouffrée ici en charriant ce qu’il reste d’une vie révolue, livrant ses stigmates à une enquête archéologique ? En marge de la fiction apocalyptique, ces éléments appartiennent de fait à un passé – celui de leur consommation, de leur usage, de leur possession – dans lequel ils s’ancreront plus profondément lorsque l’on reviendra sur nos pas, à moins que d’ici là notre régime de perception ne se soit renversé.

Là où l’exposition dessine une impasse, c’est plutôt la méthode de l’aller-retour et le motif du double qui gouverne et ce, sous le ministère des fausses ressemblances et des symétries tronquées.3 Alors le spectateur, flairant une piste au sol, se voit mis en garde contre l’illusion de la connaissance par le voir. Tandis que son reflet le surveille sans qu’il ne le croise dans les miroirs suspendus à l’embrasure des portes, chacun poursuit donc sa quête de sens en regardant ses pieds. Car le texte prévient : « Tout importe, tout est matière et donc tout peut être lu»4.

Ce qui se lit dans l’installation What the living do est le portrait d’une vie humaine, plutôt urbaine et plutôt européenne, par ce qu’elle régurgite. Parmi les identités errantes sur des enveloppes postales ou des cartes de transport périmées, il y a là une somme de désirs et d’aspirations que traduisent des emballages de produits cosmétiques ou des tracts syndicaux. Et quand remonte de ces décombres un papillon promettant le retour de l’être aimé, tout cela semble retenir un vaste système de croyances dans lequel les êtres préoccupés par leur enveloppe se seraient emmurés. Pourtant le filet d’air souffle de nouveau et attire l’attention sur les quelques éléments qui pourraient présager d’une flamme ou d’une petite dépressurisation émancipatoire, comme ces cartons de pétards ou toutes ces capsules que l’on trouve dans les bombes de crème chantilly.

Il y a bien une proposition de fuite par la coursive qui traverse l’exposition en son milieu, mais il faudrait se mettre à quatre pattes pour passer par cette enfilade d’ouvertures basses dont les grilles ont été tirées et qui ressemblent fort à des portes de chenil. Indiquent-elles le chemin qui mène derrière cette machine dont parle le titre, une vérité dont l’accès est réservé aux esprits attentifs ? Dans la dernière salle, en contrebas, cette échappée se présente enfin à hauteur d’yeux. La quête et l’errance s’achèvent ici par une image qui confirmerait cette version canine de l’allégorie. Dans cette caverne, sont adossés deux paniers en osier dont la circonférence pourrait accueillir un corps humain, réminiscence double de la jarre qui aurait été la demeure du scandaleux Diogène le cynique, condamnant l’artifice et prônant le dénuement dans l’Athènes d’Alexandre le Grand qu’il parcourait de sa lanterne, apostrophant les philosophes : « je cherche un homme ».




Jason Dodge - Behind this machine anyone with a mind who cares can enter.

Institut d’art contemporain, Villeurbanne

16 septembre au 6 novembre 2016

http://i-ac.eu/fr/expositions/24_in-situ/2016/363_BEHIND-THIS-MACHINE-ANYONE-WITH-A-MIND-WHO-CARES-CAN-ENTER


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