L’exposition est annoncée quatre fois sur les vitres de la coursive de l’école des Beaux-Arts de Clermont-Ferrand. Peintes à même la vitre, fragmentées différemment par les montants de la verrière, les affiches jaunes et leur police de caractère rouge adressent ce titre à la rue «Julie et sa cousine». En s’exposant sur la partie vitrée plutôt que sur le mur de la longue galerie, chaque affiche est au plus près de l’espace public tout en restant dans l’enceinte de l’école. De l’intérieur, ce positionnement permet aussi de voir leur verso : une forme charnue, rappelant la partie haute d’un cœur stylisé qui serait ici placée à l’envers, se détache en rouge sur ce jaune vif qui nous avait interpelés à l’extérieur. Ce cœur renversé est probablement un cul. Oui, un cul comme dans «film de cul» car Julie et sa cousine est une affiche qui a dû, dans les années soixante-dix, orner le fronton d’un cinéma X. Donc ce que nous voyons de ce côté-ci, c’est bien le cul d’une image. Mais Julie n’est pas seulement la protagoniste un peu légère d’un film qui se consommait alors dans les salles obscures plutôt que devant l’écran de son ordinateur. Elle est aussi le sujet d’un poème écrit par Clément Rodzielski qui fait ici office de feuille de salle.
Dans ce court texte en rimes, Julie partage la vedette avec Clémentine dont on suppose qu’elle est la cousine. Il est aussi question de cuisine, de sextape et de sextine dans une ambiance plus rohmerienne que dorceloise. Déclamé à haute voix on constate que le poème progresse par une suite de sons décalés : paronymes et légères anagrammes s’enchaînent dans la structure quasi rigide d’un sizain dont le mètre est intimé par le nombre des syllabes du titre de l’exposition Julie et sa cousine. Il s’agit d’une sextine. Cette progression par astucieuses modifications effectuées dans un cadre normé est à l’image du reste de l’exposition.
Dans le hall d’entrée de l’école, qui sert aussi d’espace d’exposition, outre l’affiche originale du film pornographique bombée sur son envers, nous trouvons 9 plaques en aluminium (cinq au sol, quatre aux murs) et un matelas emballé. Chaque support métallique d’un mètre de large est l’objet d’un effeuillage différent. Certains conservent leur film protecteur sur lequel l’artiste a tracé un dessin qui ressemble au schéma d’un parcours que l’on aurait raturé. D’autres sont à demi dénudés : Clément Rodzielski a donné un coup de cutter le long de la diagonale du rectangle et a ôté la moitié de la pellicule de plastique qui protège la plaque des rayures. Lorsque celle-ci servait de support à un autre de ces parcours dessinés, il n’en reste plus que la moitié. Et, lorsqu’elle était vierge, il a remplacé approximativement la partie manquante par une photographie tirée sur un adhésif de même dimension (cette fine pellicule imagée vient parfois recouvrir le film protecteur dont l’épaisseur transparait alors en un léger relief à la surface des photographies). Ces images quasi abstraites sont des anamorphoses que l’artiste a réalisées en photographiant les reflets produits à la surface courbée d’une poubelle en métal. Une fois seulement, la fine pellicule de plastique est totalement retirée. Mais l’honneur est sauf : la surface métallique, loin d’être exposée à notre regard, est recouverte de peinture blanche appliquée à la bombe.
La nudité du métal sans cesse différée est le mécanisme érotique de l’exposition. Elle souligne aussi l’importance que l’artiste accorde ici au film protecteur qui recouvre chaque plaque. Bien sûr, le jeu d’inversion dont il fait l’objet permute les rapports de valeurs établis entre le support et ce qui le protège. L’emballage du matelas peint à la bombe au travers de pochoirs procède lui aussi de cette même inversion. Mais en suivant une dimension plus littéraire dont le poème pourrait être un indice, ce motif du film renvoie autant à une mince couche de matière qu’à la pellicule cinématographique (et le reflet de l’objectif de l’appareil qui apparaît dans les anamorphoses vient souligner cette hypothèse).
La pellicule, vous savez ?!
Cette feuille mince servant de support à la couche sensible…
Cet endroit où s’enregistraient les images au temps de Julie et sa cousine.