Et Bourges surgit de ce brouillard parfois doré, typique des matinées d’automne. Il s’agira de distinguer à l’occasion de sa sixième biennale, quelques éléments s’extirpant de la grisaille.
Ce bain fade est en grande partie formé par le parcours à suivre dans la ville, une quinzaine d’étapes en divers recoins historiques de la cité. Hervé Bezet se dresse dans la cour de la salle Calvi ainsi qu’au Prieuré Saint-Martin qu’il partage avec une palissade de Pierre Petit. Laurent Pernot hante le Palais Jacques Cœur. Puis sont multipliées les monographies monotones de Julien Gasc au Haïdouc, Paola de Pietri au Musée du Berry et Yves Trémorin à la Box. Chloé Fricout & Javier Toscano disparaissent dans le hall de l’Hôtel de ville. Davide Cascio et Michaël Sellam, tous deux résidents à l’Ecole nationale supérieure d’art, investissent chacun un parc municipal par une sculpture. D’autres propositions éclairent ponctuellement le paysage par quelques rayons heureux. Les vidéos de Lennon Batchelor et de Gerard-Jan Claes & Olivia Rochette grésillent avec modestie dans la Galerie d’essai de l’Ensa. Pascal Pinaud établit au Château d’eau une ronde de belles images, sérigraphies argentées de grand format immortalisant des formes de vandalisme envers l’art. La représentation d’œuvres malmenées fait face à la figuration panoramique du stockage de son propre atelier, l’artiste nous promenant ainsi entre profanation et conservation. Isabelle Giovacchini rappelle les rudiments photographiques au Musée Estève. Insolations et prélèvements continuent de lui faire contourner malicieusement ce médium tout en ne visant que lui. Edith Dekyndt fond discrètement au Museum d’histoire naturelle. Le Collectif 1.0.3 s’offre une relative ampleur à l’étage de la Médiathèque en canalisant un flot d’ouvrages hors circuit. C’est Joris Van de Moortel qui manifestement resplendit au Transpalette avec un projet ambitieux qui permet d’embrasser davantage ses engagements plastiques. Ses dispositifs électriques animent l’obscurité froide de l’endroit, où apparaissent également sur les coursives des étages zébrés par un éclair, des peintures inédites.
Partout dans les choix du commissariat général, une dimension collégiale est revendiquée là où l’affirmation d’une sensibilité forte semble toute indiquée. L’identité graphique de l’aventure, quoiqu’on en pense, est franche et assumée, ce que je félicite. Plutôt que de s’autoriser cette voie, le projet curatorial se noie dans une cartographie dont il est difficile de cerner les motivations.
Mais deux temps composent cette manifestation, et le Panorama de la jeune création ensoleille notre voyage. La priorité devrait plus encore au sein de l’événement, être donnée à cette plateforme offrant une visibilité de quatre jours à trente artistes en début de carrière. Trentenaires français pour la plupart, ils durent assurer leurs déplacements, hébergement, éventuels besoins ainsi que l’improbable production d’œuvres avec une bourse de six cents euros. Signalons que les mètres carrés mis à leur disposition permettent bien de s’offrir avec commodité, là où des organisations similaires ne leur autorisent qu’un stand caricatural. Le Pavillon d’Auron qui accueille leurs projets, est une salle suffisamment polyvalente pour s’effacer au profit de territoires configurés à l’envi. Il en résulte davantage de retrouvailles que de découvertes. Ainsi mieux vaudra approfondir dans d’autres contextes les démarches de Marianne Muller, Christophe Boursault, Elodie Brémaud, François Feutrie, Nicolas Gaillardon, Alexandre Giroux, Eléonore Joulin, Marion Pedenon, Delphine Pouillé, Les frères Ripoulain, Marie Aerts, Benjamin Dufour et Guillaume Viaud, pour qui l’exercice en ces conditions n’a pas tant servi leur travaux. Pierre Paulin, Jérémy Laffon, Simon Feydieu et François Mazabraud s’exposent sans surprises. On herborise ici et là, retenant le déni d’apesanteur de Nils Guadagnin, l’énergie de Jennifer Dujardin. Le lopin de Céline Ahond est progressivement devenu la cafétéria du salon. Amélie Weirich & Federico Fierro, Pierre-Yves Boisramé et Amélie Deschamps excitent notre attention, avec respectivement une passion pour la cosmétique, un souci de la projection et une aisance pour l’agencement. Les présentations de Cyril Aboucaya et Félix Pinquier demeurent très séduisantes. Bertrand Rigaux et Armand Morin développent une façon propre de nous emporter dans le flux de l’image animée. La réelle rencontre fut l’approche de la proposition de Ceel Mogami de Haas, rude et mystérieuse, que j’avoue ne pas avoir identifiée parmi les candidatures soumises au comité de sélection dont j’ai fait partie. Ce constat m’apparaît encourageant, signalant le relatif décalage entre un dossier d’artiste et la réalité de ses œuvres, souvent aux dépens de l’auteur malheureusement. Mieux vaut cependant que cela se joue dans ce sens plutôt que dans l’autre. Et au cœur de l’implantation, Laure Vigna et Rémy Brière confrontent sans préméditation un appétit semblable pour l’ordonnancement. Le parti d’un espace dégagé ménage un socle à la délicatesse de leurs compositions. Boiseries d’un côté, précieuses oxydations métalliques de l’autre qui posent le décor d’une scène de séduction attendant ses protagonistes et se fossilisant dans cette latence. Le drame patiente avec sérénité, grave et beau.
L’initiative municipale reste à encourager. Vivement. Car Bourges se distingue avec cette respectable résolution parmi les trop rares contextes qui soutiennent l’émergence de sensibilités inouïes. Dans deux ans, imaginons une situation plus confortable pour les artistes invités, ainsi qu’une exigence permise quant à la déambulation alentour. Un réel rayonnement luira alors depuis la ville jusqu’à des horizons insoupçonnés, c’est certain.