Édito

le 31 mai 2024
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Si La belle revue est une revue qui œuvre à faire rayonner l’art contemporain sur un vaste territoire que nous appelons Centre-France-Auvergne-Rhône-Alpes, notre choix éditorial d’éviter un thème général pour chaque numéro en est le reflet. Lire un tel territoire à travers le prisme d’une seule thématique serait en effet réducteur et contredirait notre mission de rendre compte de sa richesse et de sa diversité. La rubrique désormais baptisée « Thème et variations » a néanmoins permis à notre comité éditorial et nos auteur·rices invité·es d’explorer certains des thèmes et pensées critiques qui semblent gagner en importance dans le champ de l’art contemporain – des thèmes qui dépassent les frontières et qui nous relient à une scène artistique de plus en plus globale. Si le thème de l’année dernière, le « cute » – ou mignon – a indéniablement commencé à s’infiltrer au-delà des pages que nous lui avons consacrées, celui de cette année est encore plus omniprésent : le mensonge. Ce n’est peut-être pas une surprise – ce numéro a été composé entre octobre 2023 et juillet 2024, une période au cours de laquelle les cris pour la vérité ont été sans cesse ignorés, où l’urgence de lutter contre les mensonges et déformations du réel se fait de plus en plus présente, de plus en plus palpable, tandis que nous tentons de résister à la sensation d’impuissance, d’abandon, de désespoir. Et si le mensonge est exploré dans la rubrique « Thème et variations » comme un outil souvent utilisé par les dominant·es au sein de dynamiques et de structures hégémoniques, sa présence se ressent dans l’ensemble des contributions, chaque auteur·ice et artiste présenté·e dans ce numéro ayant manifesté le besoin de dénoncer des jeux de pouvoir et de faire naître des contre-récits. 

Dans la « Carte Blanche » proposée à Armineh Negahdari, une série de figures ambiguës dessinées avec une ligne résolument affective semblent être apparues dans un état d’urgence, une urgence qui reflète la production prolifique de l’artiste, et un besoin de créer comme une forme de résistance. Dans notre série de portraits – « Portrait d’un·e artiste » et « Portrait d’un lieu » –, diverses pratiques se révèlent également appartenir au même geste. Dans un texte d’Annabela Tournon-Zubieta sur le travail de Vir Andres Hera – artiste né·e à Yauhquemehcan (Mexique), vivant et travaillant dans le village rhône-alpin d’Aigueblanche –, l’autrice réfléchit à la manière dont l’esthétique baroque utilisée dans le travail de l’artiste sert à exprimer et à tenter de renverser l’oppression de l’Occident. Et nous continuons de nous jouer des définitions pour le second portrait, car le « lieu » qui y est représenté n’en est pas vraiment un. La vie gagnée, une association qui lutte contre les oppressions dans le monde de l’art contemporain par le biais de publications et d’ateliers, nous fait réfléchir à la manière dont un objet éditorial peut être considéré comme un espace en soi et, plus important encore, à la manière dont la communauté que nous nous constituons peut également faire lieu. 

Cette année, la  rubrique « Vues » évolue, puisque cette année nous avons décidé d’inclure non seulement des comptes-rendus d’expositions et d’événements culturels à travers les yeux de nos contributeur·rices, mais aussi des textes à propos de livres et de projets éditoriaux récents parus sur le territoire que nous couvrons. Enfin, la contribution de Johana Blanc pour la rubrique « Cher-x-e », accueillant des propositions d’auteur·rices sous forme épistolaire, s’inspire de la forme de la conversation WhatsApp pour raconter l’histoire d’un harcèlement sur le lieu de travail – un sujet que trop de travailleur·euses de l’art malheureusement connaissent. 

La belle revue 14 est donc à parcourir comme une enquête, à la manière d’un jeu de Cluedo, qui viendrait refléter une recherche de la vérité. Face à la façade rose d’une architecture ambiguë, les lecteur·ices sont invité·es à une déambulation à travers une myriade d’espaces et d’objets qui détiennent et dissimulent un certain nombre d’informations. Ceux-ci sont ponctués de textes à considérer comme autant de fenêtres, qui offrent, dans l’ensemble, la possibilité d’une éventuelle mise à nu.