Édito

le 1 juin 2023
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On pourrait dire que publier des périodiques est une pratique éphémère et impermanente, car « chaque numéro sort dans le monde pour être rendu obsolète par le suivant1 ». Cependant, certaines choses survivent à leur obsolescence. De nombreux bouleversements sont intervenus sur le vaste territoire couvert par La belle revue depuis ses débuts en 2009 – politique fluctuante, fermeture de centres d’art, (ré)ouverture d’autres, nouvelles générations désireuses de se lancer dans le développement de la production artistique en dehors des capitales et dans les zones rurales. Malgré ces contextes instables, La belle revue n’en reste pas moins un outil pour comprendre comment la richesse des différentes scènes artistiques en dehors de celles plus reconnues perdure, et comment les sujets abordés dans les numéros précédents peuvent encore résonner aujourd’hui.

« Un magazine n’est jamais une chose fixe, mais plusieurs choses à la fois, et plus important encore, une relation entre les choses – une relation qui évolue et se modifie constamment, à la fois au sein d’un seul numéro et à travers l’accumulation des numéros suivants2 » écrit Gwen Allen. C’est la nature nécessairement instable du périodique qui nous a fait comprendre la nécessité de réimaginer la revue à l’approche de son quinzième anniversaire.

Conçue par le duo de graphistes Traduttore, traditore, la nouvelle maquette s’écarte des paysages qui composaient l’identité de la revue pensée par syndicat depuis 2015, pour mettre cette fois en lumière les visages et les lieux qui animent les territoires couverts par La belle revue. Ainsi, la jaquette/couverture se double d’un lieu de présentation des artistes ou des évènements qui dessinent la région, et, une fois dépliée, d’une carte des lieux dédiés à l’art contemporain – une carte sans frontières qui reflète notre désir d’aborder un territoire qui dépasse ses limites officielles. À l’intérieur de la revue, de nouvelles rubriques donnent la parole aux personnes et aux lieux figurant sur cette carte (« Portrait d’un·e artiste » ; « Portrait d’un lieu »). Chaque année, la carte, la couverture et l’objet lui-même se parent d’un nouveau motif et d’une nouvelle palette de couleurs reflétant non seulement l’évolution constante de la revue, mais aussi la volonté de Traduttore, traditore de développer un graphisme qui s’éloigne des esthétiques plus traditionnelles.

Bien que l’objet ait changé, prenant un rôle multiple, notre intention reste la même : faire une revue qui fait rayonner les scènes artistiques de Centre France Auvergne Rhône-Alpes au-delà de ses frontières. Nous continuons à publier des articles à propos des expositions, mais pas que. Une rubrique intitulée « Vues » se compose de ces critiques d’expositions, aux côtés desquelles nous proposons également des textes sur certains événements qui transforment le paysage artistique de notre territoire, comme la réouverture du Magasin – Centre national d’art contemporain à Grenoble, ou la regrettable fermeture d’art3 à Valence. 

Soutenant autant un territoire spécifique que les débats dans l’art contemporain en général, nous continuons à dédier une rubrique à un thème « général », avec une mélodie légèrement modifiée. Anciennement nommé « Dossier thématique », « Thème et variations » porte toujours sur un seul sujet – ou dans le cas de ce numéro, une esthétique, le cute (mignon) –, désormais à travers un ensemble de textes plus éclectiques. S’y côtoient ainsi des textes critiques et des fictions, des traductions de textes fondamentaux et des entretiens avec des artistes. Dans ce numéro, le thème parasite les pages de la revue pour mimer son omniprésence dans notre monde néolibéral qui capitalise sur le cute. L’artiste Mélody Lu propose au sein de la revue une œuvre en lien avec ce sujet, dans la rubrique qui s’intitule « Carte blanche ». 

Si l’envie d’intégrer une présence plus humaine s’exprime sur la couverture, elle se révèle également dans une rubrique inédite : « Cher·x·e ». Inspirée par l’idée de lettres d’amour non envoyées, nous avions l’envie de privilégier un registre de parole moins habituel dans le langage artistique. Nous invitons des travailleur·euses de l’art à écrire une lettre adressée à une personne, un objet, une œuvre d’art, et ainsi de suite, pour révéler les choses qui nous habitent en parallèle – et sûrement au centre de – nos pratiques professionnelles. 

Le comité éditorial a également évolué suite aux départs de Julie Portier – qui a travaillé au sein du comité entre 2015 et 2022 – et de Benoît Lamy de La Chapelle – directeur d’In extenso et de La belle revue de 2016 à 2018 puis membre du comité de 2018 à 2022. Nous les remercions chaleureusement pour leur engagement à faire de La belle revue un outil critique pour l’art contemporain. Lola Fontanié et Lou Ferrand viennent rejoindre Marie Bechetoille, Sophie Lapalu et Katia Porro. 
Même avec une nouvelle forme, La belle revue demeure un outil, une archive, un lieu de rencontre et de débats, mais surtout, un endroit en perpétuel mouvement. Et si c’est le cas depuis maintenant quatorze ans, c’est aussi grâce à nos lieux partenaires et notre lectorat qui continuent de défendre et soutenir nos activités. Nous sommes si heureux·euses que vous soyez là.

  1. Gwen Allen, « Introduction », Artists’ Magazines, An Alternative Space For Art, The MIT Press, Cambridge, Massachusetts & Londres, Angleterre, 2011, p. 1. Traduction de l’autrice. ↩︎
  2. Gwen Allen, « Introduction – Magazines in and as Art », THE MAGAZINE, Documents of Contemporary Art, The MIT Press & Whitechapel Gallery, Cambridge, Massachusetts & Londres, Angleterre, 2016, p. 12. Traduction de l’autrice. ↩︎