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Fun House

par Pierre-Alexandre Mateos

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Derrière les champs, Pougues-les-Eaux, témoignage du resplendissement fané de ce qui fut jadis une ville thermale. Ses maisons évoquent la bourgeoisie naissante 1900 et son goût pour les pavillons et les parcs ombragés. Au cœur de ce village, trône le centre d’art Parc Saint Léger. Peut-être est-ce cette ambiance de casino désuète qui fut le point d’accroche de l’exposition « Fun House » par la commissaire Cristina Ricupero, revisitant avec largesse les points sombres des parcs de divertissement, mais pas seulement. La salle d’exposition serait ici hantée et les œuvres teintées de références horrifiques, merveilleuses ou fantasmagoriques. Son organisation procède par séquences narratives désolées, lancinantes et par accrocs à la manière des surgissements ou jump-scare faisant la joie des spectateurs d’épouvante. On note d’abord la bande-son conçue par Thierry Jousse, critique de cinéma, qui nimbe l’espace d’une ambiance inquiétante à base de synthé giallo et de notes dissonantes participant à des effets de dramatisations dont profite l’ensemble des participants. Puis on est introduit par une salle de bain d’Anna Solal, reconstituée avec des déchets urbains, moignons de sneakers et autres bris d’iPad. Ses sculptures ont les parois cousues et une élégance chancelante, parfois grimaçante comme quand elles sont ornées d’une estampille Gucci. Est-ce un espace d’ablutions ? Un lieu où l’on nettoie ses plaies ? On pense à Robert Gober, à Louise Bourgeois, mais par un refus de la solennité, une modestie concrète marquée par le labeur des villes, les œuvres sont comme dépecées d’une sorte de sentimentalisme. Plus loin, des personnages aux contours sombres recouvrent les multiples fenêtres-meurtrières. Il s’agit des rideaux peints par Oscar Chan Yik Long reprenant les silhouettes dégénérescentes du film de Carpenter, Le Prince des ténèbres

La salle principale multiplie les surprises et les points d’attaques avec notamment les peintures médiatiques et démoniaques de Jean-Luc Blanc reprenant des photographies de films, de magazines ou de pochettes d’albums. Tantôt occupant des positions centrales à la manière des portraits de propriétaires surplombant la cheminée d’une loggia sur Sunset Boulevard, tantôt placées à des endroits plus incongrus, surélevées comme des nymphes à poussière, ses peintures exhalent le parfum des films de la Hammer, des bois sombres victoriens et même l’odeur des costumes pailletés des sœurs de la perpétuelle indulgence. L’horreur est ici camp, fardée, glitter et déliquescente assumant sa part de grand-guignolesque. Au cœur de l’exposition gisent les sculptures et les tableaux-précipités de Mimosa Echard. Les fleurs séchées y côtoient des matériaux synthétiques voire toxiques, on observe la présence de rebuts et d’objets à la vie électronique sacrifiée, tel un godemiché devenu arme du crime. Ses herbiers pourrissent, criblés de champignons. Des traditions plastiques se cannibalisent : le process-art d’Eva Hesse se conjugue aux excès bioniques d’un Tetsumi Kudo. On ne sait jamais ce qui est véritablement vivant ou mort car les matériaux sont laissés à l’état de stupéfaction. Et puis, il y a ce canapé de cuir noir, son cendrier dégueulant de cendres, ses mains d'argile gantées aux postures extatiques ou autoritaires tenant parfois avec des airs de vamps une longue cigarette. Autant d’indices consentis par Émilie Pitoiset dénonçant une fête, peut-être en déshérence, une cérémonie onaniste ou le tournage d'un film noir sous la coupe d'un pornographe. Les escaliers mènent à la pièce la plus secrète de l'exposition où sont joués plusieurs films à la tonalité charbonneuse, réalisés par la même artiste. Se succèdent en formats courts un cheval effectuant des rondes sous la menace d'un pistolet, des personnages flous et hagards entraînés dans une sarabande, des costumes en noir et blanc comme dans un concert de no-wave. Son univers est fétichiste, moderniste, interdit, glacé. Le son est puissamment vibratoire. C'est dans cette pièce recluse que l’on vit une expérience presque martiale marquée par le bruit incessamment dupliqué de ce qui pourrait être des cuissardes. « Fun House » nous abandonne ici à ses lugubres coulisses et à sa final-girl que ni le rire des enfants jouant près de la mare ni ses faux-airs de Coney Island ne sauraient amoindrir et il y a comme une odeur de rat dans ce si joli parc, au sein de cette charmante ville.




« Fun House »

Florian Bézu, Jean-Luc Blanc, Oscar Chan Yik Long, Mimosa Echard, Hendrik Hegray, Agata Ingarden, Jonathan Martin, Émilie Pitoiset, Anna Solal
Bande-son : Thierry Jousse

Commissariat: Cristina Ricupero

Parc Saint Léger, Pougues-les-Eaux

29 février – 23 août 2020






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