L’exposition « Le Génie du lieu » propose habilement de recentrer l’attention sur le bâtiment industriel du Creux de l’enfer, requalifié en centre d’art il y a exactement trente ans. Les sept artistes invité·e·s, dont un duo, habitent de leurs œuvres chacun des espaces, vastes ou réduits, se logeant dans les interstices et les recoins ou assumant une prise de possession plus frontale. L’enjeu, pour Sophie Auger-Grappin qui se saisit du lieu pour cette première exposition sous sa direction, est de mieux le voir, de l’appréhender poétiquement, d’en remémorer l’histoire au travers des stigmates de ses activités passées.
Pour l’occasion, les productions ont été nombreuses. Adepte des « sculptures à vivre », Hélène Bertin s’est vu confier la reconfiguration de l’espace d’accueil. Destiné à rester au-delà de l’exposition, celui-ci, sous le titre Marchelire & Corbeilleboire (2018), a été transformé par l’artiste en un lieu de discussion, de repos ou de consultation, où chacun·e peut se lover dans les meubles à pieds anthropomorphes en céramique qu’elle a conçus et boire dans les tasses qu’elle a tournées. Le sentiment du foyer est également convoqué dans la pièce tout en discrétion d’Elsa Werth. Au sol du rez-de-chaussée, le tracé à la craie de Titre deux à usage unique (2016) rappelle un dessin schématique de tapis frangé. Par un geste simple de translation de formes rectangulaires, l’artiste fait ainsi osciller son dessin entre objet usuel et trame abstraite Hard Edge. L’œuvre oriente également le regard sur un sol marqué par les nombreuses interventions artistiques in situ passées, tandis que l’impressionnante installation de Jennifer Caubet dialogue avec les poutres métalliques. Tenus en tension entre sol et plafond, vingt-quatre javelots parés de pièces en verre soufflé modulaires réalisées à l’occasion d’une résidence au Cirva (Marseille), rythment l’espace et jouent sur le contraste des matériaux, entre la fragilité du verre et la solidité de l’acier. Première occurrence de ce « kit sculptural », Espacements (2018) prolonge les recherches d’une artiste qui cherche littéralement à éprouver l’espace et ses forces internes. Une autre appréhension des équilibres est proposée par Anne-Laure Sacriste dans la « grotte », un espace à mi-étage à même la roche, réhabilité pour l’exposition et qui fera désormais l’objet d’invitations spécifiques. L’installation We Are The Landscape Of All We Have Seen, Part II, Le Creux de l’enfer (2018), trahit une recherche de la composition juste, d’un rapport harmonieux entre les objets, nourri par la tradition de l’art des jardins japonais et des ikebanas. Le grand espace du premier étage est entièrement confié à l’intervention de Flora Moscovici, qui livre à coups de brosses sur les anciennes cimaises une composition picturale in situ en résonance avec l’environnement naturel. Des nuances colorées, de verts à des tons plus chauds, reflètent en cascade celles du paysage visible depuis les larges baies vitrées. Black Bivouac #7 (2018) du duo Grout/Mazéas aborde autrement cette attention au territoire. Dernière mouture d’une série de vidéos centrée sur le topos du feu de camp, cette séquence a été tournée dans un château voisin de l’Allier avec des protagonistes locaux. Sa narration explore les fils conducteurs déployés dans l’exposition, la mémoire du lieu (le feu au centre du récit fait écho à l’activité de cette ancienne forge), l’expérience conviviale, l’appréhension d’un site…
Il y avait sans doute une sorte d’évidence, dans un espace aussi singulier et chargé d’un passé à la fois industriel et artistique, à proposer un tel état des lieux inaugural. En réponse à cette invitation curatoriale, chacun·e des artistes apporte une réponse singulière et forte sur les questions de territorialité, d’in situ, de paysage, etc. Si les œuvres « parlent » savamment au lieu, on peut toutefois regretter que le caractère solipsiste de ce dialogue se fasse au détriment de celui qui aurait pu également être tissé entre elles. Sans être programmatique, cette exposition ébauche ainsi dans la programmation à venir de la directrice un souci de la rencontre avec le lieu et ceux qui l’habitent, de l’ancrage local, qui va se traduire notamment par la mise en place prochaine de résidences autour des savoirs locaux.