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Comme à son habitude, Joris Van de Moortel inaugurait son exposition au Transpalette par une performance musicale de haute intensité, dont les vestiges devenaient les éléments centraux de l'exposition.

A rebours (construire la destruction)

par Alexandre Castant

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La vision en plongée du Centre d’art contemporain Le Transpalette, plus précisément en regardant le bâtiment de l’intérieur et depuis son dernier étage, produit une dynamique et un vertige avec lesquels les artistes – amenés à y travailler in situ – ont souvent composé. Maquette d’un fragment de l’architecture du bâtiment en suspens dans le bâtiment lui-même (Dominique Blais, 2011), nappes liquides bouchant la chute du regard dans un jeu de reflets (Michael Snow en 2005, Electronic Shadow en 2008), reconstitution de la banalité d’un intérieur domestique, et de ses objets anodins, après le passage d’une spirale invisible (Tsuneko Taniuchi, 1999), l’horizon du Transpalette en plongée aura souvent été la cause, le produit et la conséquence de sa propre exploration artistique. L’exposition «Inside the White Cylinder» du jeune artiste flamand Joris Van de Moortel, né en 1983, est inscrite dans ce sillon. Le 4 octobre 2012, lors de son vernissage au Transpalette, c’est à une performance dans un cylindre en plaques d’aluminium à laquelle le public a assisté. Guitare-basse, basse et batterie remplissaient l’espace de leur volume saturé avant qu’une fumée épaisse et extatique ne s’en envole. À voir et à entendre en plongée, toujours, d’en haut… «Inside the White Cylinder» garde la trace de cet événement sonore. Elle en est le vestige, la ruine, le rebut, la perte1.

À rebours

Un monumental cylindre d’aluminium dans lequel un concert s’est donc déroulé, mais aussi un néon bleu circulant comme un liquide dans l’espace, des câbles d’acier maintenant la violence d’une tension, et bloquant en cela le passage de l’un des étages d’exposition, et des écrans de projection faits de murs ou d’armatures de fer ou de bois… Autant de lignes, de plans, de contours, de surfaces et de volumes, de rapports d’opposition et de contraste, de surfaces courbes à travers lesquels l’exposition «Inside the White Cylinder» expérimente le son tournant et se diffusant dans une architecture, un lieu, des installations. Pour Joris Van de Moortel, auteur de pièces dans lesquelles sont souvent physiquement pris des instruments de musique (par exemple Keep the Balance, 2012), une approche spatiale des sons produit (ou donne à imaginer) une expérimentation de leur matière et de leur texture qui les façonne, les déploie, les module, les sculpte. Précisément, de Joseph Beuys (Plight, 1958-1985) à Robert Rauschenberg (Oracle, 1962-1965) et à Jean Tinguely (L’Enfer, 1984), le son a souvent été perçu comme une sculpture expérimentant l’espace qu’il habitait.

Dès lors, «Inside the White Cylinder» peut aussi apparaître comme une lecture post-moderne et à rebours de l’histoire de l’art contemporain où apparaîtraient des citations de Michael Snow (photographies du processus de travail scotchées sur une surface plane), Dieter Roth (polaroïds comme traces autobiographiques d’un journal des lieux), James Turrell (néons hypnotiques) ou encore, évidemment, Kurt Schwitters (l’atelier infini de Joris Van de Moortel, que semble activer chaque exposition, fait indéfectiblement songer au Merzbau, son atelier en forme d’«œuvre d’art totale»). «Inside the White Cylinder» – déjà magnifique contribution à l’histoire du son dans celle de la sculpture contemporaine – active et recycle, donc, un flux de citations artistiques pour en engager le voyage dans le temps. Ce cylindre, n’est-il pas une sorte de fusée pour un départ, celui dans l’histoire de l’art contemporain et actuel considérée comme une odyssée ?

Détruire, construit-il

Le post-rock de Joris Van de Moortel développe, me semble-t-il, une conception artistique visant à déconstruire les codes, les signes et la perception d’une musique rock dont l’esthétique n’a eu de cesse d’être réévaluée, à la hausse, depuis les années 1990 et surtout 2000. Par exemple, lors de la performance de «Inside the White Cylinder», l’artiste était enfermé, avec d’autres musiciens, dans ce fameux cylindre pour y produire un bruit rageur avant que ne soit lâchée une fumée blanche et dense2. En même temps, Joris Van de Moortel sortait de ce lieu en en découpant, méthodiquement, les plaques d’aluminium à la meuleuse électrique (en 1977, le groupe punk américain The Plasmatics tranchait déjà sur scène des guitares électriques à coup de tronçonneuse !). Déconstruction de la gestuelle musicienne du rock et de ses postures qui, surjouées, sont conduites aux limites du visible (musiciens dont la vision est ainsi masquée par la fumée), et de ses sonorités musicales qui – du fait de l’improvisation noisy – sont portées aux confins de l’inaudible dans un chaos sonore.

 

Cette violence du geste, du regard, ce vol en éclats de l’espace, où l’artiste se trouve et depuis lequel il œuvre, cette figure de la déconstruction qui va jusqu’à la destruction a souvent été remarquée. Pour la commenter, Christine Ollier cite Le Grand verre de Marcel Duchamp comme la pratique de la peinture à coup de masse de Steven Parrino3. Et Guillaume Benoît écrit dans un texte sur l’artiste pour la revue Semaine : «[Les œuvres de Joris Van de Moortel], déployées dans l’espace comme par accident, ne sont pas sans évoquer un éboulement inversé, une mise à la renverse de la gravité4». Déconstruction de différents médiums qui traverse le son et le rock, mais tout autant la performance, l’installation, la sculpture, l’architecture, la peinture, en interrogeant cette fois le visible, la perception, le regard, l’image… En effet, cette découpe des plaques d’aluminium invite le spectateur à se rapprocher du cylindre pour y regarder, à l’intérieur, comme un voyeur se glisserait dans une fente, de métal, pour y voir au-delà. Avec le risque de sentir ses paupières et ses propres cils frôler la lame effilée de la découpe. Il y a là, à l’intérieur du cylindre, des instruments de musique qui sont les rebuts de la performance faite quelques jours plus tôt. Mais on peut aussi connaître – les paupières et les cils contre cette lame comme un rasoir – une sorte d’hallucination, et songer à, ou même y voir soudain, dans ce cylindre, l’œil tranché du Chien andalou de Luis Buñuel (1929). À  nouveau à rebours dans un voyage dans le temps qui prend, alors, un autre sens dans l’œuvre de Joris Van de Moortel… Celui d’un voyage dans les figures de la destruction que, historiquement, firent toutes les avant-gardes.




Joris Van de Moortel
« Inside the White Cylinder »
5 Octobre < 18 Novembre 2012
Transpalette - Bourges

emmetrop.pagesperso-orange.fr/transpalette.html


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