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Pour sa dernière exposition à la tête du musée de Rochechouart, Olivier Michelon a invité le jeune collectif Irmavep Club à déployer dans les vastes salles du château les deux derniers volets d'un cycle d'expositions débuté à Paris en 2011, à la galerie Schleicher+Lange.

Renverser les images et les origines*

by Marie Bechetoille

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Dans le château de Rochechouart, l’énigmatique esprit d’Irmavep Club s’est installé. Chacune de ses expositions construit peu à peu un paysage narratif composé d’indices, de traces et de signes. Si pour les livrets I et II présentés dans les galeries schleicher+lange et Art: Concept, on pouvait sentir en tant que visiteur, une frustration, l’envie d’une véritable prise d’espace, c’est chose faite au Musée départemental d’art contemporain de Rochechouart. Les «livrets IV et V», une exposition collective et une monographie, s’articulent dans une magnifique résonance.

 

Interface (ou comment représenter la limite entre le fini et l’infini ?)

 

Dans la première salle, des photographies de Thomas Merret révèlent des frontières invisibles, un «infini sur le fini des mers»1. Un monochrome bleu, Coppia (1979) d’Ettore Spalletti, leur fait face. Sa moitié est présentée de l’autre côté du mur. Au centre, un banc surdimensionné de Guillaume Leblon, entre le mobilier et la sculpture. Spare time (The joke 1992-2010) (2011) de Giovanni Giaretta présente des personnages isolés sur une île déserte. Ils ponctuent l’exposition, comme pour montrer l’écart entre ce que l’on voit et ce que l’on imagine exister ailleurs et autrement. Dans Raggerra con specchi (1973) de Pistoletto, deux miroirs ouverts, surfaces de réflexion et de représentation, divisent et multiplient l’image du spectateur. L’interface est une limite, mais elle est aussi un lieu d’échanges et d’interactions. Les grands dessins de Dove Allouche, Anonyme (2011) et Charnier (2011), reprennent des photographies stéréoscopiques de l’après-guerre. Ils font écho aux peintures d’oiseaux morts de Gerald Petit. Représenter l’infini dans le fini. La sculpture toise (2011) de Clémence Torres, d’un seul trait métallique fait se rejoindre le sol et le plafond.

 

Inframince (ou comment apercevoir ce qui n’est pas perceptible ?)

 

Derrière le brouillard se crée un paysage de feu (Antony McCall, Landscape for Fire), derrière des ratures se lit un poème (Olve Sande, Fire Sermon I-III), derrière des rouleaux se révèlent des négatifs (Bruno Persat, blackbox). La sculpture d’Olve Sande, Even A Velvet Rope Can Leave Its Rope Burns (2011), rappelle La Fenêtre d'angle de mon cousin d’Hoffman et la figure du poète comme voyant. La disparition de l’image laisse place à l’imaginaire. Par leur ténuité, certaines œuvres évoquent l’infra mince, terme inventé par Duchamp, à l’image d’un des murs de l’exposition recouvert d’un liant vinylique transparent (Clémence Torres, limite propre). L’infra mince est : «cette opération heuristique qui fait apparaître des choses inaperçues, qui ouvre le sensationnel à une autre expérience possible, à une autre qualité du réel»2. Historic Photographs: Hitler-Youth, Eigenschweisst (1997/2011) de Gustav Metzger indique par son titre ce que contiennent les deux plaques d’acier scellées. La série de photographies de Bruno Serralongue a été prise juste après l’anniversaire de l’indépendance du Kosovo. A l’inverse de la spectaculaire communication des médias de masse, les images témoignent de ce qu’il y a «à côté» et «après» l’évènement. Dans Oral History (2011), Volko Kamensky filme le village des frères Grimm, que commentent des voix féminines de hot lines. Le résultat est troublant. L’une d’elles dit : «Éteindre tout et écouter à l’intérieur».

 

Silence (ou comment voir le vide ?)

 

«Éteindre tout et écouter à l’intérieur». Cette phrase résonne avec le travail de Maurice Blaussyld. Obscur et exigeant, il instaure une distance, parfois renforcée par la mise en exposition. Une corde empêche l’accès d’une salle au visiteur, mais il aperçoit une enceinte évidée et un châssis en bois retourné. Un câble le tient éloigné de facsimilés de programmes télévisés. Plus loin, une vitrine contient des livres, des catalogues, des dessins. L’enceinte et le châssis sont là à nouveau, seul leur format a changé. Des caisses au contenu inconnu sont posées contre un mur. Des textes, suite sans fin de mots et d’images. Sur un téléviseur le visage de l’artiste apparaît quelques secondes. Dans L'Esthétique du Silence (1969), Susan Sontag écrit : «Traditional art invites a look. Art that's silent engenders a star». Au premier regard, le travail de Blaussyld provoque l’incompréhension, la curiosité et/ou le rejet. L’impression de vide et de silence, l’absence d’origine et d’achèvement rendent visible une adhésion mystique, une aspiration à la transcendance. Le spectateur se trouve face à un étrange paradoxe : la radicalité du réalisme procure un sentiment de cohérence et d’évidence, alors même qu’il le déstabilise et le trouble. C’est dans cette expérience intérieure que la force et le mystère de l’art de Maurice Blaussyld se situent.

 

Réversibilité (ou comment renverser le sens dans plusieurs sens ?)

 

Le gigantesque pendule de Mel O’Callaghan oscille dans un mouvement aléatoire. Le temps et l’espace ont été renversés. Une image de lumière par la lumière : «le medium est le message»3. The hole of the house in the middle, 1954 -2011 de Bruno Persat, se compose de trois projections diapositives sur des panneaux noirs en équilibre. S’ils tombent, l’image disparaît. Des photographies récentes de l’artiste en noir et blanc rencontrent de manière aléatoire celles en couleur prises par son père en 1982. Elles forment un récit sans début, ni fin, où le temps s’est inversé. Sur le panneau central, un étrange «soleil vert» irradie. «Serait-ce la fonction originaire des images que de commencer avec la fin 4. L’exposition se termine avec une installation de Lonnie van Brummelen & Siebren de Hann. Le titre Subi dura a rudibus (2010) est un palindrome. Entre le jeu des sept erreurs et un test de Rorschach, l’image d’une tapisserie du XVe siècle et du carton ayant servi de modèle, projetées côte à côte, se rejoignent puis s'éloignent.

 

Dans Le renversement, le poète Claude Royet-Journoud écrit sous la forme d’une affirmation : «échapperons-nous à l’analogie»5. Au-delà des effets de miroirs, de symétries et de répétitions, on perçoit dans ces livrets IV et V, les infimes différences qui désignent la singularité des expériences, comme une invitation à prendre le temps d’exercer son regard. Échapper à l’analogie commence par un renversement des images et des origines.

* Ce titre fait référence à l’œuvre Origine et image renversée (1989 / Juin 2008) de Maurice Blaussyld

Notes

  1. Charles Baudelaire, «Le Voyage» in Les Fleurs du mal, Œuvres complètes, t. I, Paris, Éditions Gallimard, coll. «Bibliothèque de la Pléiade», 1975
  2. Thierry Davila, De l’infra mince. Brève histoire de l’imperceptible, de Marcel Duchamp à nos jours, Paris, Éditions Du regard, 2010, p. 32.
  3. Marshall McLuhan, Understanding Media: The extensions of man, 1964
  4. Georges Didi-Huberman, Ce que nous voyons, ce qui nous regarde, Paris, Les éditions de Minuit, coll. « Critique », p. 196
  5. Claude Royet-Journoud, Le Renversement, Paris, Éditions Gallimard, 1972, p. 45




Irmavep Club
« Livrets IV et V »
Musée d'art contemporain de Rochechouart
29 Février < 10 Juin 2012

www.musee-rochechouart.com
www.irmavep.club.com

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Marie Bechetoille Irmavep Club
—» Musée départemental d'art contemporain de Rochechouart - Rochechouart



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